24h du Mans 2022 : la victoire des data ?
La course automobile a toujours été un laboratoire de nouvelles technologies. On pense bien entendu à un certain nombre d’innovations apparues en course avant de migrer vers la voiture de Monsieur-Tout-Le-Monde : boîte de vitesse robotisée et suspension pilotées sont ainsi nées en Formule 1 dans les années 80-90. Mais la compétition est aussi un laboratoire de nouvelles méthodes, comme le travail des matériaux composites ou encore la CFD (mécanique des fluides assistée par ordinateur).
Et depuis quelques années, les data sont une nouvelle source de performance. Un exemple parmi tant d’autres où les données apportent une vision nouvelle : la gestion des pneumatiques.
Le défi à relever : la gestion des pneumatiques.
Au fil des ans, les pneus ont pris une importance croissante en course. Ces “simples” morceaux de caoutchouc sont en réalité des concentrés de technologie, et c’est à eux que l’on doit l’essentiel des performances des voitures. En effet, ils sont les seuls liens entre la voiture et la piste, et leur adhérence conditionne à la fois l’accélération, le freinage et la vitesse de passage en virage… tous les ingrédients nécessaires à un bon “chrono”.
Pourtant, gérer les pneus est un véritable casse-tête pour les ingénieurs comme pour les pilotes. Afin d’assurer une adhérence maximale, ils doivent travailler à des températures élevées (de l’ordre de 80°C). Trop froids, ils n’offrent pas l’adhérence requise… mais trop chauds, il se dégradent rapidement et perdent alors toute performance. Le pilote doit alors passer par les stands pour les remplacer, perdant ainsi plusieurs dizaines de secondes et parfois toutes ses chances de victoire.
Pendant longtemps, les équipes ont tenté de mettre au point des modèles physiques décrivant le comportement des pneus. Toutefois, elles se heurtaient à de grosses difficultés : physique très complexe, non linéaire et faisant intervenir de nombreux paramètres (température et nature de la piste, vitesse de rotation et glissement des roues, angle de braquage du volant pour n’en citer que quelques uns). Qui plus est, la limitation des essais en vigueur dans de nombreuses séries pour réduire les coûts limite les opportunités d’acquérir des informations afin de développer et de “recaler” les modèles physiques.
La Data Science au secours des ingénieurs.
Pour contourner ces difficultés, l’équipe Jota a décidé d’utiliser les data et le Machine Learning. Jota Sports est une équipe Britannique qui engage des voitures dans le championnat GT Européen et des prototypes LMP2 dans le Championnat du monde d’Endurance (WEC).
Pour mettre en place son modèle de gestion des pneus, Jota enregistre lors de chaque “run” une multitude de paramètres liés à la voiture ainsi qu’au comportement des pneus. Ces données sont ensuite envoyées dans un algorithme de Machine Learning qui a pour but de déterminer un lien entre le comportement de la voiture et celui des pneus. Plus besoin de comprendre finement la physique (mais cela reste quand même utile pour les ingénieurs 🙂). A la clé, un outil permettant de prévoir la durée de vie des pneus avant la course et de suivre leur évolution pendant celle-ci.
Et les bénéfices sont nombreux pour Jota :
- Une stratégie de course optimisée grace à une bonne prévision des performances et de la dégradation des pneus.
- La possibilité pour les ingénieurs de course de donner des conseils aux pilotes en temps réel sur leur pilotage et son influence sur le comportement des pneus.
- Un modèle développé en quelques semaines alors qu’il faut compter des mois (voire des années) avec une approche de modélisation traditionnelle.
- Chaque week-end de course apporte son nouveau lot de données qui peuvent être utilisées pour affiner le modèle.
- Un coût réduit car on utilise uniquement les données récoltées en piste. Plus besoin de longues et couteuses séances sur les bancs d’essai dynamiques.
La victoire en récompense.
Et cela fonctionne. Jota a ainsi remporté les 24h du Mans dans la catégorie LMP2 en 2022 et est actuellement en tête des championnats pilote et constructeur à la veille de la dernière course de la saison à Barhein.
La course est un sport d’équipe. Chaque membre contribue à son niveau à la victoire : pilotes, mécaniciens, ingénieurs… et Data Scientists. Une nouvelle confirmation que l’utilisation des data est un formidable vecteur de performance dans tous les domaines, même les plus inatendus.
Cet article est tiré d’une vidéo (en Anglais) qui fournit des explications plus détaillée sur les modèles et la méthode utilisés par Jota Sports. Voici le lien :.